mercredi 12 novembre 2008

Rue de l'ordinaire

La rue c'était pas un pote à qui t'allais taper dans l'dos. Pas sans un poignard à la main. Quand elle te r'garde du bas d'ses trottoires, quand elle te fait mariner dans son jus, ça détrempe sur l'macadam avec les flaques de vomis rouge des ivrognes, la mélasse la boue gelée et des merdes de chiots semées comme des corps d'enfants sur un champs d'mine. Elle te tendait des embuscades avec ses pauvres gars d'vant les magasins, ceux qui s'arrêtaient pour parler en occupant toute la largeur du trottoire, avec la poussette en barricade. C'était l'flash cuisant des affiches et des ordres, tout devenait impératif, la lumière du café, la vitrine de l'épicerie, l'affiche et le coup d'klaxon quand tu traverses. On t'dragues partout à coup d'promo, partout tu buttes sur les regard langoureux qu'on jette sur ta poche, sur ton larfeuille. Tu t'ballades dans l'bourbier, t'as un but ou t'en as pas, tu marches vite et t'esquives les corps à contre-sens. Les motos et les bruits d'moteur des camions des bagnoles qui chargent tes oreilles cramées par le froid, en bon ordre, sans rythme. Des éclats d'voie et des cons qui s'interpellent, qui t'frôle le portable collé à la joue, et tellement occupé.
Y'a pas une brique de tendresse dans ses murs droits, maçonnés d'un point d'vue pratique, vertical avec d'la place pour les fenêtres et les portes. T'as des guichets automatiques enfoncés dedans, t'as les soupirails qui t'crament les jambes, t'as les bacs à fleur à mégot et les horodateurs. Le pavé qui claque mou sous sa couche d'huile, les plaques qui basculent quand tu marches dessus, clong-clang. Je compte mes pas c'est un tic. Je choisis les dalles sur lesquelles je pose le pied, ça m'occupe l'esprit. Je m'arrête aux intersections, je r'garde les options, je consomme de la direction, du sens. Les poubelles qui débordent d'emballages et d'journaux, les cartons qui s'ramolissent devant les magasins. Tout ce qui traine dans la rue fini par se recroqueviller. Cartons, clodos, vieux emmitouflés sur les bancs publiques, et même les envies.
Le gosse qui cours et la mère qui gueule. Viens ici, et tu vas tomber, ton lacet, ton écharpe, tes fesses, fais attention, les voitures. Reste ici. La musique de la fenêtre du premier, la TV dans l'appartement d'en face. Les vapeurs des marmites de prolos, le grésillement d'la barbaque dans la poele. On l'entend dans la rue. Les éclats de rires et les applaudissements du publiques, un présentateur jovial, avenant, sympathique. Ou alors il a une tête de con, j'peux pas l'supporter celui-la. J'aime, j'aime pas, j'adore. Change de chaine, y'a rien.
Dans les cafés y'a rien à entendre, on s'colle au comptoir, on ouvre sa veste et l'écharpe, on pose le bérêt. La machine à café et les discussions habituelles, les tiercés les anecdotes, des enfants qu'ont la fiêvre et des soucis d'mère de famille, le carnet d'note, la prof de maths du p'tit. Les histoires de bureau, les photocopieuses en panne, l'informatique qu'a planté pendant 2 heures ; l'argent, c'est un problème. L'argent il est dehors, il manque, ça veut pas démarrer, c'est compliqué. Les chantiers pénibles et les clients cons, ceux qui exigent, ceux qui comprennent pas, ceux qui draguent. L'histoire de cul du patron, celle de la secrétaire, et puis le stagiaire et tous les jeunes d'ailleurs, faut qu'ils s'mettent au travail, la vie est dure. On parle politique, société, ils vont voir, ça va péter. On paie d'addition, et c'est ma tournée cette fois, range tes sous, c'est pour moi. On s'plaint mais on a d'la chance quand même. De l'ordinaire.

Aucun commentaire:

 
Creative Commons License
Kabaret Cholera par Oskarr Najh est mis à disposition selon les termes de la license disponibles à cette adresse
.