Elle m'a dit qu'un bon révolutionnaire était un révolutionnaire raté. Je me suis senti soulagé, au fond. Emilie pense que le monde ne changera pas, et qu'il n'est pas utile qu'il change. Qu'il y a de la place pour de mauvais révolutionnaires comme moi, des indifférents, des nihilistes. Et si rien n'est remis en question, ça à si peu d'importance. Nous sommes la profondeur, le relief et le romantisme moribond de ce siècle terne. Nous ne sommes l'espoir de personne, mais chacun est rassuré de nous connaitre.
Je n'ai pas pris les armes à Oaxaca. Je suis une banshee de la révolution. Emilie pense que la vie est un jeu, et que je tiens mon rôle à la perfection. Je mets tout en oeuvre pour ne pas la séduire, je la heurte à mes élans de glace, elle trouve cela juste. Nous créons des espaces autonomes, parfois de la taille d'un verre, parfois vaste comme un hangar. J'use à grand train ma culture de contrebande. Je me déploie entre Maïakovsky et Lautréamont, entre Edgar Poe et Wilhelm Reich. J'y glisse le faisceau de mes propres angoisses.
Ivre dans le moelleux d'un trône-fauteuil éventré, je parle d'invasions, je résume des siècles de terreur, je les mâche jusqu'à ce qu'ils se réduisent à quelques mots. "C'était terrible". Je claque des dents, espérant mordre un mot, ne trouvant que la viande de ma propre langue, couverte de braise encore. Emilie dit que j'ai noirci, ce qui ne l'inquiète pas. Nous avons mangé en silence. Elle s'est mise à chanter, jusqu'à l'épuisement.
J'ai rappelé à moi le gras du discours, son épaisseur, j'ai tissé des silences compréhensifs. Emilie ne dit plus rien, et j'écoute avec la même attention.
mardi 27 mai 2008
Emilie shot the sheriff
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