mardi 13 mai 2008

Vodkastration

La réalité sera bien pire. On a un semblant d'histoire commune, on va l'user, le ronger jusqu'à la corde, voire un peu plus loin : notre adolescence moisie, cramée, ratée.
Complètement niqués à la bière et à la vodka, on sait pas combien on est de victimes. On en soupçonne 3, autant de convives que de vies niquées, d'existences infâmes, prêtes à sauter. Chacun explique les raisons de son suicide, de ses velléités de mort, c'est la surenchère autour du verre. On se jette à la gueule des devoirs de mémoire, on vomis à tour de rôle. De la grosse indus qui nous vrille le cerveau, le besoin de secouer sa chair douloureuse, putain de damné je suis, putain d'épileptiques en transe. C'est pas le soir que j'imaginais, au matin mort à cracher à mon tour. Moi je suis le roc, ici, l'inébranlable. Je tiens debout, je veille et je borde les amis en deuil d'eux même, par anticipation. Je crache la synthèse d'une nuit noir, au petit matin, à une postérité qui n'existe pas vraiment. Lis ça et suicide toi deux fois, je t'aime.
On s'est rappelé ceux qui sont partis, à dix-sept ans, vingt ant, un peu plus, ceux qui pourraient mugir avec nous ce soir et qui ne sont plus. Ils l'ont fait aussi, comme Cédric le sauveur de chat, la tête éclatée, mes yeux écarquillés. Son sang de cadavre en rivière sur ma main. On traine notre existence, on la trouve pathétique, on charrie des cadavres, notre vie est un fleuve sale. Surenchère dans nos peines minables. Je me suis noyé dans le discours. Ils aimeraient pas nous voir comme ça, eux, les morts, et nous, les survivants. Nous trois et notre morceau de comptoir à la dérive, ce radeau de la Merduse. Nous, sales, grotesques, nos épaves existencielles, nos consciences ardentes, nos non-vies.
J'ai rampé dans trop de merde pour étouffer aujourd'hui, cet instant aux heures perdues. Coeur sanglant vie en berne, on a des drapeaux noirs au moins en pensée, va falloir que ce monde s'accorde à notre posture, parce qu'on est devenus des putains de bourrins prêts à tout pour tracer notre ligne de conduite. Elle est partie de travers, peu importe, on va rayer toute la planète. Qui nous a rendu ainsi doit en payer le prix, c'est naturel, c'est l'ordre des chose. Nous ne changeront peut-être pas le monde, mais le monde ne nous changera pas plus.
On a raté notre adolescence, on est des faux départs tout respirants, des avortements ratés de vie qui n'en sont plus, dressés sur nos pattes arrières, titubant sous l'alcool et les larmes, mais droits, putain, on est droit et imbibés de poudre explosive, au moins en pensée. La possibilité d'une vie seule nous rend ivre, on se contente de survivre à tout prix. Je suis la bactérie dans le caniveau du monde ou du pays, mais la bactérie et je grouille de toute mes forces. Mes souvenirs me rongent, les temps passés et l'avenir incertain comme deux postulats qui se perdent dans cette merde de vodka, dans cette merde de bière en litres infinis, fut aprés fut, qu'on sert plus vite qu'on la bois.
Nous sommes égarés, sans bras pour nous reposer, nous sommes usés, rêches comme une plaque d'acier rouillé ou de verre dépolis. Demain le monde ne se pliera pas à nos exigence. Comme des cordons de flics nous attendent des gueules de bois implaccables.
Je pense aux morts, aux cortèges funèbres, à mon adolescence en demi teinte et pas terminée, ou trop mal. A la merde et au marasme, à tous les avortements, aux âmes qui pourraient m'écouter au lieu de me regarder tomber encore et encore plus bas. Je n'ai pas vomis, dans ma pensée-glue, je me demande si c'est bon signe ou si c'est le chant du cygne.
Je ne serait plus jamais humain, je regarde mon dernier lever de soleil, et son reflet rappel le sang de Cedric. Ou le mien qui gicle jusqu'au ciel, ma gorge sèche, comme une pensée crasseuse.

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